Nous abordons tous l’expérience du confinement à grande échelle sans véritable mode d’emploi et les adolescents découvrent comme nous cette situation inédite qui semble difficile à vivre pour certains d’entre eux. La SFSA vous propose cette mosaïque de questions/réponses pour réfléchir aux enjeux et proposer différents moyens pour aider les adolescents à traverser un bon confinement et non vivre un emprisonnement.
Pourquoi la situation est-elle encore plus difficile à vivre pour les adolescents ?
Entre deux âges et en pleine affirmation de sa personnalité, il se révèle compliqué pour un adolescent d’être obligé de se soumettre à l’autorité comme un enfant alors qu’il cherche justement à émerger des contraintes de sa cellule familiale. Programmé pour prendre des risques et parfois transgresser les règles, il aura souvent besoin d’un interdit ferme de la part de ses parents pour les respecter. Le confinement est aussi propice à accentuer ou faire émerger des tensions dans la famille. Les adolescents pour qui les relations avec les pairs sont essentielles peuvent mal vivre le confinement avec leurs parents. Chez ceux qui sont plus à l’écart, repliés, il peut accentuer leur isolement, distendre encore le lien social. C’est d’autant plus difficile pour eux que, dans une vision psychodynamique, l’adolescence est un moment où émerge une pulsion sexuelle qui a besoin de trouver un support. Le confinement avec les parents ravive la crainte inconsciente que ce désir sexuel et pulsionnel se porte sur ces derniers.
Comment parler de cette pandémie avec les adolescents ?
L’épidémie de COVID-19 sert de support à des peurs irrationnelles qui ont existé de tout temps : la peur de l’étranger, la peur de la nouveauté, et la peur de la maladie et de la mort. En situation de crise, l’adolescent a besoin de se sentir compris, protégé et rassuré. Il nous faut l’écouter d’abord puis lui répondre avec des explications claires qui parlent :
de la maladie (COVID-19), du travail des soignants et du virus nommé par son nom (nouveau coronavirus ou Sars-CoV-2) de chamboulement de vie, pourquoi il est important de respecter les décisions prises par les responsables du pays même si c’est difficile au quotidien et même si on ne comprend pas toujours de frustration, de la vie d’avant, en rappelant que pour certains c’est encore plus difficile. du confinement et de ses règles d’isolement et de séparation, mais aussi de la possibilité de créer d’autres liens sociaux avec les moyens de communication du caractère provisoire de la situation actuelle : il faut rester patient et garder espoir Il faut rassurer le jeune sur sa propre sécurité : il recevra des soins appropriés s’il tombe malade et ne fera sans doute pas vu son âge une forme sévère de COVID-19. Transmettre la confiance en la médecine, la solidarité et l’attention aux autres est aussi une leçon fondamentale qui peut être un effet positif de la crise sanitaire actuelle.
Où s’informer pour comprendre sans trop stresser ?
La priorité pour les ados serait d’avoir des explications claires, documentées et pédagogiques sur l’épidémie, car comprendre limite la panique et les fantasmes auto-angoissants… Éviter de consulter docteur Google qui a souvent plus d’inquiétudes qu’autre chose à transmettre et beaucoup d’informations contradictoires.
Sources fiables (chaque ligne est un lien vers le site concerné) :
- Page officielle du gouvernement sur le coronavirus
- Site de l’Organisation Mondiale de Santé
- Recensement des cas en France (région par région)
- Site de l’Association Nationale des MDA
Que dire du stress et de l’anxiété ?
Le confinement peut entraîner ou augmenter des symptômes de stress ou d’anxiété qui peut se manifester par :
- Symptômes physiques (maux de tête, eczéma, etc.)
- Perturbation du sommeil et/ou de l’appétit
- Agitation ou au contraire baisse d’énergie, apathie
- Apparition de difficultés à se concentrer
- Tendance à s’isoler
- Préoccupations marquées concernant la stigmatisation et les injustices
- Irritabilité, colère
Que conseiller aux ados pour s’adapter quand tout change ?
Parler de ses émotions. La peur est une émotion normale et naturelle. Observer quand elle se manifeste, comment (en pensées, en images, par des sensations dans son corps) et ce qui la diminue.
Quand on est stressé, se mettre en action permet de diminuer les pensées stressantes. Certaines personnes ont besoin de musique ou de silence, de bouger ou d’être immobile et d’autres de s’occuper. Il n’y a pas de conseil universel sauf celui de prendre soin de soi et de faire ce qui fait du bien. Parfois, un conseil ne fonctionnera pas aujourd’hui mais pourrait fonctionner demain. Ça vaut donc la peine d’essayer plusieurs choses et de garder une liste des trucs qui aident vraiment.
Tenir un journal intime de cet événement unique (noter les activités au fil des jours, décrire les pensées et les sentiments, expliquer les événements positifs ou difficiles) Il sera certainement très intéressant de s’y replonger dans quelques années… C’est peut-être le moment d’écrire des courriels, des lettres d’amour virtuelles, ou même d’écrire de vraies lettres sur papier…écrire ses sentiments fait souvent du bien.
Garder le lien avec ses amis et partager des activités virtuelles est facile avec les technologies modernes : réseaux sociaux, vidéo-chats, jeux en ligne… Regarder le même film, la même émission, écouter la même musique en même temps et échanger en groupe par chat, organiser une fête en groupe par Skype/zoom… Pratiquer des activités sportives telles que le yoga (vidéo), ou des entraînements à la maison.
Il faudrait proposer aux adolescents de jouer un rôle actif pendant la crise.
« On entend souvent un message un peu stéréotypé, que les adolescents n’écoutent pas, qu’ils enfreignent les règles, etc. Ce n’est pas tout à fait vrai, ils vont être d’excellents acteurs et peut-être même aider d’autres personnes en difficultés. Certains collaborent très bien, et vont être créatifs, les adolescents vont s’entraider. »
Dr Louis Picard, psychologue Clinicien en médecine de l’adolescence au CHU Sainte-Justine, Québec
Une telle implication donnera aux jeunes un but et un sentiment d’utilité. L’important est de rester concentré sur le moment présent.
« C’est sûr que quand on commence à regarder l’avenir, c’est la meilleure façon de paniquer pour tout le monde, on se met à faire de l’anticipation, Mais à l’heure actuelle, les données ne nous permettent pas d’avoir une anticipation réaliste de ce qui va se passer. La meilleure attitude, c’est vraiment de revenir au moment présent, de se donner des projets à court terme, de faire des listes… Si on garde un accent sur le moment présent, on va tous mieux s’en sortir. »
Dr Louis Picard, psychologue Clinicien en médecine de l’adolescence au CHU Sainte-Justine, Québec
Assurer une routine
- Planifier des activités physiques qui peuvent être faites à la maison comme le yoga par exemple
- Maintenir un rythme régulier au niveau de l’heure du coucher, des repas et de l’exercice physique
- Maintenir une alimentation saine et une bonne hygiène de vie, 3 repas par jour
- S’habiller et se laver tous les jours
- Encourager la participation aux tâches ménagères pour donner le sentiment d’avoir accompli une action positive.
Que conseiller en cas de dépendance à des substances ?
Cette période de distanciation sociale et d’isolement à la maison en présence des parents peut présenter un grand défi pour les adolescents qui ont des dépendances aux produits de vapotage, au tabac, au cannabis ou à d’autres substances. Voici quelques recommandations importantes :
Même si les jeunes sont moins à risque de développer des formes sévères du coronavirus, le fait de vapoter ou de fumer (cannabis et tabac) pourrait affaiblir les poumons et le système cardiovasculaire et augmenter les risques de développer une forme sévère de la maladie. Le vapotage, la cigarette, le cannabis augmentent les risques de contagion au COVID lors de l’achat/de l’acquisition ou du partage de produits. Vapoter et fumer en groupe devraient être évités en tout temps pendant l’épidémie actuelle. Le COVID présente aussi une belle opportunité pour tenter une diminution ou un arrêt de la consommation. Il est possible de se fixer des objectifs et de chercher le soutien de sa famille et/ou de ses amis (en les contactant par téléphone/chat/message par exemple). Les adolescents peuvent prendre contact avec leur médecin ou des professionnels de santé, ou utiliser une ligne d’écoute pour discuter d’arrêt ou diminution ; pour la dépendance à la nicotine des produits de remplacement de la nicotine (gomme à mâcher ou patch) peuvent être prescrits.
Que dire des relations affectives ?
Comment vivre l’amour au temps du COVID-19 ? Pour les adolescents, la présence physique de l’autre est souvent un moyen de se rassurer. L’absence sera plus ou moins facile à tolérer selon la personnalité du jeune, son investissement de la relation, les moyens qu’il pourra mettre en œuvre pour la maintenir. Les adolescents n’ont pas besoin de nos conseils pour rester en contact, via les moyens de communication modernes, avec leur petit(e) ami(e). Les applis de vidéo-chat sont particulièrement bien adaptées pour entretenir la relation amoureuse. Ce sera pour nous l’occasion de leur rappeler les règles de prudence dans les échanges de photos et vidéos intimes qui risquent d’être partagées, que ce soit volontairement par un destinataire malveillant ou involontairement (piratage de compte, vol de portable…). On peut aussi proposer aux adolescents d’écrire, plus que des messages instantanés ou des SMS. Des e-mails, de véritables lettres d’amour, virtuelles ou sur papier, peuvent faire du bien, autant au destinataire qu’à l’expéditeur : écrire ses sentiments permet de mieux tolérer la séparation. Les adolescents doivent aussi être avertis que dans cette période de tension interne, leur petit(e) ami(e), tout comme eux, sera possiblement plus irritable ou moins tolérant. Attention aux conflits éventuels que tous deux regretteraient par la suite; dans ce cas, il est plutôt conseillé de le régler par une appli de vidéo-chat que par messagerie/SMS. Dans cette période de confinement, la prévention des IST et des grossesses est liée au respect de la distanciation. On en profitera pour rappeler les conseils de prévention et encourager les jeunes à préparer les retrouvailles. Les adolescents sexuellement actifs ou susceptibles de le devenir doivent avoir accès à des préservatifs dès la levée du confinement. En ce qui concerne la contraception orale, on conseille de poursuivre la pilule durant le confinement et par la suite. Les adolescentes qui craindraient d’être enceinte ne doivent pas attendre la fin du confinement pour faire un test ou consulter, de nombreux CPEF ont maintenu un accueil téléphonique et des temps d’accueil du public. Mais le confinement entrave leur accessibilité en secret des parents.
Quels conseils donner aux parents ?
Le marqueur de l’entrée dans l’adolescence, c’est le besoin absolu de prendre ses distances par rapport à ceux dont on est issus. Et ce n’est pas tant le confinement qui embête les adolescents, c’est l’enfermement à proximité des parents. Les parents doivent comprendre qu’il faut laisser les ados tranquilles dans leur chambre, sans venir voir ce qu’ils font. Il faut qu’ils aient un îlot à eux dans la maison pour limiter les conflits. Les parents devraient continuer à demander la permission d’entrer dans la chambre et s’il n’a pas de chambre seul, une place en retrait dans le logement peut aussi faire l’affaire. Mettre cela au clair évitera les tensions.
Préserver des moments en famille comme les repas qui permettent les discussions en tout genre et facilitent le dialogue Mettre en place des activités ensembles (jeux de société, films, discussion sur un sujet différent de la pandémie…) Les temps d’écran, tablette ou téléphone sont permis et les horaires discutés en tenant compte des besoins affectifs de l’adolescent. Les 2 parents doivent déterminer les règles prioritaires et assurer une cohérence dans les messages. Pour les jeunes en garde alternée, il est plus que jamais important que les discours et les attitudes des deux parents soient cohérents et en harmonie. En cas de crise avec les parents (il va y en avoir, c’est très probable), le jeune peut s’isoler, ou aller marcher seul en respectant les règles du gouvernement, utiliser une application téléphone de relaxation (Respi relax, petit bambou), se distraire avec la musique. Utilise les ressources qui fonctionnent dans ces moments-là. Les parents pourraient faire de même !
Et le travail scolaire ?
Les parents ne doivent pas essayer de devenir des enseignants, c’est le contraire de ce qu’il faut faire. Il faut éviter absolument de “prendre la tête” des ados avec les devoirs scolaires. Diminuer les attentes et prendre en compte que tout le monde est en adaptation Scolairement, les enfants ont besoin d’aide, du soutien de leurs professeurs, de leurs éducateurs, mais pas du contrôle incessant de leurs parents. Les enseignants ont envoyé des travaux à réaliser… c’est certainement l’occasion de contacter des amis de la classe pour les réaliser ensembles.
Que dire des soins ?
Beaucoup de consultations en visio-conférence sont possibles. Contacter un professionnel de la santé si des signes d’anxiété et de dépression persistent, y compris des changements de l’appétit, des troubles du sommeil, de l’agressivité, de l’irritabilité, et la peur d’être seul ou retiré de sa famille. Ne pas négliger les consultations de suivi en cas de maladie chronique.
« Je ne croyais pas les téléconsultations adaptées à un psy de terrain. Mais j’y vois de nouveaux axes de prise en charge. Les adolescents me parlent de leur chambre, me montrent leur univers, la manière dont ils évoluent dans l’appartement. Depuis trois jours, je peux même leur donner des “devoirs” psychologiques pour la prochaine séance : faire la critique d’une série de leur choix, une présentation photo de ce qu’ils aiment… »
Dr Xavier Pommereau, psychiatre
Sources et références
Trucs et astuces pour un confinement moins difficile à l’adolescence pendant la pandémie au COVID-19 section de médecine de l’adolescence. CHU Sainte-Justine, Montréal, Canada. Le 26 mars 2020 Olivier Jamoulle, pédiatre Louis Picard,psychologue (lire l’article (pdf) de la section « médecine de l’adolescence » du CHU Ste Justine à Montréal)
Conseils aux pédiatres, Association Française de Pédiatrie Ambulatoire. AFPA, Flash info presse, 19 mars 2020 (lien vers le site de l’AFPA)
Parler du coronavirus aux enfants, soutenir leurs peurs, les aider dans le confinement Hélène Romano, Psychologue et Docteur Catherine Salinier Pédiatre (lire l’article (pdf))
Comment aider votre enfant anxieux face au coronavirus Par Dr. Coline Stordeur, Dr. Alexandre Hubert, Pr Richard Delorme (pédopsychiatres) et Marina Dumas, Ph.D (psychologue). Hôpital Robert Debré. (lire le document)
Coronavirus : « Ce n’est pas le confinement qui embête les adolescents, c’est le confinement à proximité des parents » Le Monde – Par Cécile Chambraud. Publié le 19 mars 2020 à 10h07 (lien vers l’article)
Syvia Maccalli, psychologue et Xavier Pommereau, psychiatre. « Sans Rendez-vous » sur Europe 1, la psychanalyste Catherine Blanc, 19 Mars 2020 (podcast)
Bureau de la SFSA : membres ayant participé à la rédaction de cet article
- Bruno BURBAN éducateur spécialisé, Maison Départementale des Adolescents, Nantes (trésorier)
- Jean CHAMBRY pédopsychiatre, CIAPA, Paris (secrétaire)
- Sylvie CLIQUET infirmière en médecine de l’adolescent (92)
- Paul JACQUIN pédiatre, Hôpital Robert Debré et Maison des Ados R. Debré, Paris (vice-président)
- Sébastien ROUGET pédiatre, Centre Hospitalier Sud-Francilien, Corbeil-Essonnes (président)