La majorité des adolescents a semblé bien supporter les premières semaines de confinement. Cela leur a permis de se mettre à l’abri dans leur chambre, de légitimer leur besoin de séparation du reste de la famille (lorsque c’était possible physiquement) et d’échapper à de nombreux contrôles et tentatives d’intrusion parentales et scolaires. Certes, il y a eu des frustrations et des tensions, mais aussi pour beaucoup le droit à la passivité et la consommation d’écrans « illimitée ».
On peut néanmoins s’étonner du fait que les adolescents, moins touchés par le virus et réputés souffrir de formes moins graves, se soient si massivement pliés aux exigences du confinement. Où est l’esprit de révolte et d’indépendance, pourquoi si peu de transgressions ? Outre les bénéfices secondaires évoqués, cette « pseudo-acceptation » (terme qu’on emploie volontiers à propos de la maladie chronique) témoigne peut-être aussi d’une vision bien pessimiste du monde et de l’avenir partagée par beaucoup de jeunes. Le monde que les adultes leur laissent est « pourri », écologiquement, économiquement, et ils « savent bien » que, quoi qu’il arrive, ils n’auront pas droit à la belle vie et aux protections dont ont bénéficié leurs ainés … La crise du COVID-19 est un tsunami de plus, qui vient s’inscrire dans ces tristes perspectives et la soumission semble la seule réponse, inéluctable.
ATTENTION : UN ADOLESCENT CONFINE PEUT EN CACHER UN AUTRE
L’annonce du deuxième mois de confinement et la fixation d’une date de sortie viennent révéler certaines situations plus inquiétantes. La première, la plus banale, est représentée par ces jeunes qui se sont complètement décalés, vivant la nuit accrochés à leurs écrans plus de quinze heures par jour et dormant la journée, évitant ainsi toute confrontation à l’ennui, aux contraintes et aux conflits potentiels. Si pour l’immense majorité il ne s’agit pas d’ « addiction » aux écrans mais d’un remplissage de temps vacant, la remise en route va être néanmoins être difficile et demandera beaucoup d’énergie aux jeunes, mais aussi aux parents, enseignants, éducateurs et soignants.
Plus discrète et plus préoccupante est la menace qui pèse sur les adolescents les plus fragiles, en particulier ceux qui souffrent d’une des affections chroniques réputées « facteur de gravité » du COVID-19. Les informations largement communiquées sur ces facteurs de risques rassurent la majorité de ceux qui n’en ont pas ; mais elles peuvent constituer autant de messages menaçants, culpabilisants et finalement stigmatisants pour les autres. C’est la « double peine », les « personnes à risques », à l’instar des personnes âgées, sont désignées comme les futures victimes, mais aussi les futurs coupables de la gravité de leur infection et de l’embolisation du système de santé. Nombre de ces jeunes vivant avec un diabète, une obésité ou une pathologie respiratoire – pour ne citer que les plus fréquentes – semblent avoir accepté un confinement radical, mais la réalité est qu’ils n’osent absolument plus sortir. Pour eux le 11 mai représente une menace dramatique : ils vont être « obligés » de sortir, au risque d’attraper le virus, et par conséquent d’être sur la liste des futurs hospitalisés en réanimation voire des morts !
Pour d’autres, c’est la crainte de contaminer leurs proches, s’ils ramenaient le virus chez eux, qui aboutit au même vécu menaçant et qui inhibe toute velléité de sortie. Cette configuration peut se retrouver également pour les jeunes chez qui la socialisation était déjà une affaire compliquée, anxieux, dépressifs, phobiques…
Ces angoisses et ces discriminations douloureuses échappent aux radars du soin, elles sont silencieuses et ne sollicitent pas ou peu l’entourage, parents, amis, professeurs, etc. Nous devons nous mobiliser pour aider ces adolescents à réintégrer une vie normale, pour repérer ces jeunes trop sages, aller chercher leurs peurs, leur sentiment de culpabilité ou parfois de honte et les aider à sortir de ce tunnel mortifère. C’est la prévention secondaire de complications médico-psycho-sociales à venir.
A l’opposé, il convient également de faire entendre à tous que le 11 mai ne sera pas un retour total et immédiat à la vie d’avant, sans restriction des relations sociales.
RECONSTRUIRE
En premier lieu, nous devons informer les personnes concernées sur les véritables risques liés à leurs pathologies et sur les précautions supplémentaires qui peuvent se justifier. Au fur et à mesure des constats scientifiques sur cette pandémie, il semble que très peu d’adolescents soient particulièrement exposés. Mais nous devons également garder en vue un objectif commun à toute la société, celui de retrouver le chemin de la vie normale pour tous ses membres, qu’ils aient ou non une maladie.
Ce déconfinement progressif nous obligera à inventer des différences entre les citoyens, qui seront transitoires et mobiles, pouvant nous amener ensuite à une conception de l’égalité plus forte encore. Le confinement, mise à l’écart généralisée, renvoie à la passivité et au sentiment d’inutilité. Notre responsabilité d’adultes, a fortiori de professionnels de l’adolescence, est redonner aux jeunes l’envie de sortir, l’envie de grandir, le désir de transformer le monde, dans des conditions que nous devrons co-construire ensemble entre générations, qu’ils soient touchés ou non par une fragilité ou une maladie.
Parce que l’avenir leur appartient !
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